Cet article est une réaction commentée à un film documentaire.
En 52 minutes, le film de Stéphanie Trastour décrit et explique avec clarté les dérives possibles de certaines pratiques psychothérapeutiques. Ces praticiens déviants s’adressent à leurs patients en leur promettant des miracles, des résultats rapides avec des méthodes présentées comme révolutionnaires. Elles s'appuient presque toutes sur les mêmes ressorts : en premier lieu une psychologisation à outrance, notamment des maladies physiologiques (par exemple une allergie présentée comme conséquence d'un évèvement traumatique vécue par la personne ou par ses parents voire ses grands-parents) et une causalité quasi unique à toute souffrance psychique, à savoir des abus sexuels ou des maltraitances pendant l'enfance. Cette idée est d'autant plus perméable que la théorie psychanalytique s'est vulgarisée et s'est implantée dans le quotidien en perdant au passage une partie de sa cohérence et de sa pertinence. Il devient alors très facile d'en déformer les concepts et la pratique avec un air d'évidence et de respectabilité. Dans la théorie psychanalytique, le refoulement est un mécanisme de défense consistant à repousser dans l'inconscient, des événements, des désirs ou des émotions, à l'origine de tensions internes insupportables pour le sujet. Une lecture dévoyée du refoulement peut alors devenir un outil puissant de manipulation mentale. En postulant d'emblée des abus sexuels dans l'enfance, comme sources de tous les maux, il suffit donc de les chercher. Il n'y a pas de souvenirs ? Qu'importe ! L'absence de souvenirs -et donc de preuves- est transformée de manière perverse en preuve par elle-même : le traumatisme aurait été refoulé, il s'agirait d'une amnésie traumatique et cette dernière serait la preuve d'un abus. Ainsi l'absence de preuve devient une preuve qui permet au manipulateur d'affirmer qu'il y a eu abus et il part à la recherche de souvenirs ; sans aucun doute sur ses affirmations, il mène une enquête dont il connaît pourtant déjà l'issue. En induisant ces hypothèses fallacieuses, elles deviennent des faux souvenirs qui peuvent prendre toute l'apparence de vraies expériences vécues. La mémoire est en effet facile à manipuler : elle se reconstruit en permanence, emprunte des éléments à l'imaginaire, à des histoires racontées par d'autres. Les travaux sur la malléabilité de la mémoire d'Elizabeth Lotfus, psychologue et chercheuse en psychologie à l'Université de Stanford sont très éclairants. Bien avant elle, Freud lui-même, avait déjà mis en garde contre les « souvenirs écran » qui évoquaient des incestes. Les victimes de ces dérives sont multiples : les personnes manipulées évidemment, les personnes - souvent des parents – injustement accusées, voire condamnées pour des actes qui n'ont jamais eu lieu mais aussi et ce n'est pas rien, les personnes réellement victimes d'abus sexuels, dont la parole déjà si difficile, si douloureuse, risque d'être décrédibilisée. Ce reportage invite à la vigilance et à l'exercice de l'esprit critique. Aucune loi, aucun titre ne peut a priori protéger d'un praticien malhonnête ou simplement mal formé. Dans le film, les « dérapeutes » sont psychothérapeutes, psychopraticiens, psychanalystes, psychologues ou médecins. A l'heure où des accompagnements hétéroclites foisonnent, l'esprit critique a intérêt d'être exercé envers les praticiens en médecines alternatives, énergétiques, les guides spirituels, les coaches et praticiens en thérapies brèves. Lors du premier entretien ou à n'importe quel moment de la thérapie, il doit être possible de questionner les pratiques, les formations... des professionnels de la psychothérapie, qui dans leur grande majorité font honnêtement la tâche, pour laquelle ils ont été sollicité. D'une manière générale, certains signes doivent alerter :
En cas de doutes sur la pratique et l'éthique d'un praticien, il doit pouvoir s'en expliquer sur demande du patient ou avoir un organisme de pairs qu'il est possible de saisir (ordre, collège ou syndicat professionnel). L'association Alerte aux Faux Souvenirs Induits peut aussi être un soutien, une source d'informations voire un recours. http://fauxsouvenirs-afsi.org/ A l'heure où l'actualité autour des agressions sexuelles risque d'encourager des dérives, le visionnage de ce documentaire peut être utile. Emprise mentale, quand la thérapie dérape 2016 Un film de Stéphanie Trastour, disponible en DVD chez Program33 Paris
0 Commentaires
|
AuteurPierre-André Beley, psychosociologue et Gestalt-thérapeute, praticien en psychothérapie à Strasbourg. Archives
Septembre 2023
Catégories |