Dans notre société en proie à une crise sanitaire sans précédent, nous vivons désormais masqués et, faute de nous toucher comme avant, nous ne communiquons que par paroles et échanges de regards. De quoi envisager un réel changement à long terme dans nos comportements ? Un psychologue et un sociologue répondent à LCI. 09 nov. 19:02 - Romain LE VERN article consultable dans son intégralité : https://www.lci.fr/psycho/psychologie-ce-que-le-port-du-masque-a-change-dans-notre-perception-de-l-autre-2169408.html Demain, vivrons-nous tous masqués ? C'est la question que l'on peut se poser à l'heure du masque généralisé dans la population afin de lutter contre une menace sanitaire sans précédent, et ce pour une durée indéterminée. Une projection constellée d'inconnues, qui soulèvent des questions les interactions sociales. Effectivement, d'un point de vue psychologique, "le port du masque a modifié notre rapport à l’autre" admet le psychologue Sébastien Garnero, sollicité par LCI : "Les comportements sociaux et émotionnels, très liés à la reconnaissance faciale chez l’humain et, en cela, importants dans les contacts, ont subi un réel bouleversement de nos "habitus" (Terme désignant, en sociologie, la manière d'être d'un individu dans son apparence physique, ndlr). Le port du masque a tendance à anonymiser les personnes par la dissimulation qu’il impose, ayant une fonction de barrière limitante entre l'autre et soi. L’expression de la mimique étant inexistante, ne restent comme seuls indicateurs les yeux et le regard." En d'autres termes, notre cerveau, si prompt à passer au scanner les visages, se révèle bien en peine, frustré par manque d'informations sur autrui. Nos villes sont ainsi devenues le théâtre où des ombres passent sans se toucher, mais où les yeux préservent cette part de lumière si précieuse pour créer du lien.- Rémy Oudghiri, sociologue D'un point de vue sociologique, même constat d'un changement de comportement dans les espaces : "Chaque jour désormais nous sommes tenus de nous tenir à distance les uns des autres, et le port du masque symbolise cette mise à distance sociale", confirme le sociologue Rémy Oudghiri, également contacté par LCI. "Nos corps étant devenus un danger pour les autres, nous n’avons le droit de circuler qu’en nous dissimulant. Un peu comme si nos rues étaient devenues le lieu d’un carnaval à l’aspect étrange et inédit, car la dimension festive y est la grande absente." Une mise à distance qui "redouble le sentiment de méfiance chez les Français" selon le sociologue : "Le port du masque tend à nous éloigner les uns des autres, accentuant une propension typiquement française : celle d’un individualisme distant où le respect de l’autre confine parfois à l’indifférence", constate-t-il. "Nos villes sont ainsi devenues le théâtre où des ombres passent sans se toucher, mais où les yeux préservent cette part de lumière, si précieuse pour créer du lien. Car, les romans ou les films du futur le raconteront sans doute un jour, il y a des amitiés ou des amours clandestines qui se trament derrière les masques. Il y a des histoires qui échappent à l’impersonnalité. Elles résistent à cette société du principe de précaution qui nous forcent à nous enfermer dans des bulles." Si nous ne devenions plus que des yeux, nous serions inévitablement pris dans les pièges du regard, de l’illusion optique et de l’imaginaire- Sébastien Garnero, psychologue Seulement, sur la durée, n'y a-t-il pas un risque de déshumanisation en cachant une partie de son visage ? Tout dépend, en réalité. "Si le port du masque n’est provisoire et intermittent, rien ne sera changé dans notre perception de l’autre" assure Sébastien Garnero. "On se souviendra de cet épisode comme d’un symbole de cette crise de coronavirus, mais cela ne créera pas de bouleversement psychique majeur de notre relation à l’autre." En revanche, si on devait le conserver de manière systématique sur de longues périodes, cela pourrait "modifier notre manière d’être et de se vivre ensemble sur le plan des interactions et de la relation à l’autre", concède-t-il. "Si nous ne devenions plus que des yeux, nous serions inévitablement pris dans les pièges du regard, de l’illusion optique et de l’imaginaire qui parfois sont trompeurs dans les interprétations décodées par le cerveau et le psychisme" avertit le psychologue, renvoyant aux pièges du regard dans la mythologie (mythe de Narcisse, Méduse, effet Pygmalion, cyclopes, troisième œil...) "menant tous à un destin tragique". Par ailleurs, ajoute-il, contrairement à ce que l'on pense, "les yeux sont en réalité peu informatifs sur le plan émotionnel, ou du moins pas suffisamment expressifs à eux seuls pour être clairement décodés dans l’interaction sociale et encore plus difficilement dans l’interaction affective." Reste plus qu'à espérer alors que les gens ne s'habitueront pas, une fois l'épidémie passée, à porter leurs masques sociaux, à ne plus se toucher, à se contenter de liens défaits. Et le sociologue Rémy Oudghiri cite le poète mexicain Octavio Paz qui écrivait : "Nous sommes condamnés à nous inventer un masque, puis à découvrir que ce masque est notre vrai visage" : "Gageons que derrière ces histoires anonymes, derrière ces regards éperdus, derrière ces yeux vivants, des visages bien vivants attendent le moment de la libération", conclut-il. Sur le même sujet, l'article de Sylvie Schoch de Neuform, Crise épidémiologique, crise de cohérence, la théorie polyvagale comme trait d'union dont voici le résumé : La pandémie de la covid 19 est l’occasion de s’interroger sur les systèmes adaptifs dont nous disposons pour traverser les crises. Selon la théorie polyvagale de Porges, qui est une façon de rendre compte des mécanismes neurophysiologiques de rapprochement et d’isolement social, nous avons d’autant plus besoin des autres que nous sommes soumis à des stress environnementaux liés à la présence de danger. Or les préconisations de distanciation et le confinement diminuent de façon drastique les possibilités de socialisation, et nous inondent d’injonctions qui génèrent la méfiance et la défiance vis à vis de l’autre. A la capacité naturelle de notre système nerveux à chercher du soutien dans la relation se substituent des attitudes défensives. Ce qui s’active alors, ce sont des réactions de survie face à un danger potentiellement mortel. Ces comportements, caractéristiques du règne animal (fight, flight, freeze) sont désinhibés et prennent alors le pas sur le processus plus élaboré de recherche de sécurité par l’engagement social qui est commun à tous les mammifères. Comment retrouvons-nous alors une cohérence dans ces injonctions et impulsions contradictoires ? Article consultable : https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-gestalt-therapie-2020-1-page-32.htm?contenu=article
0 Commentaires
S’interroger sur la cohérence, c’est aussi se pencher sur nos incohérences.
Si l’un des fondements théoriques de la Gestalt-thérapie, à savoir la Gestalt-psychologie démontre comment la perception humaine ne peut s’empêcher de voir un ensemble structurant, même là où il n’y en a pas, un autre volet de notre théorie, qui repose sur le processus et l’impermanence, s’accommode assez mal de cette idée de structure, si tant est qu’elle soit conçue comme rigide. Le flou, l’incertitude sont aussi nos piliers. Comment cela peut-il bien s’assembler ? Aucun praticien ne se revendique incohérent, même si cela peut donner cette impression : qu’en est-il des thérapeutes multi-référentiels qui s’appuient sur des pratiques thérapeutiques dont les théories sont parfois si divergentes qu’il semble bien difficile de les faire cohabiter dans une même pratique ? Il sera aussi nécessaire de vérifier, lors de notre réflexion, ce que nous appelons cohérence. Comment transmettre la Gestalt-thérapie avec une pédagogie qui rende compte de sa spécificité ? La co-errance pointe son nez pour répondre à cette question : errer, se promener sans nécessairement connaître le but, explorer avec un Autre, en co-construisant, selon la formule consacrée. Et au final, il y a bien une arrivée. Les détours et méandres sinueux choisis par les auteurs de ce numéro nous ont parfois surpris, ils nous offrent un éventail assez large des échos qu’ont suscités ces questions dans de vastes pans des sciences humaines, et au-delà jusqu’à la physiologie. Joseph Caccamo pose déjà quelques jalons psychologiques et sociologiques dans son exploration étymologique qui ouvre le dossier de ce numéro, finalisé dans les circonstances si particulières de l’épidémie de Covid 19 et du confinement. Après l’étymologie, restons un peu dans l’histoire : celle de la Gestalt-thérapie de la posture de champ. Jean-Marie Robine en retrace le parcours et en analyse avec clarté certaines incompréhensions, incohérences qui circulent encore. Ces explicitations peuvent aussi être une bonne définition de ce qu’est le champ en Gestalt-thérapie. Avis à ceux qui s’estiment parfois naviguer à vue et au doigt mouillé dans le champ, ou s’y perdent… Vous y trouverez aussi une brève critique de la situation de mai 2020 et surtout le secret de sa cohérence ! Nous revenons dans cette actualité à peine dépassée avec Sylvie Schoch de Neuforn qui a élaboré pendant le confinement les éventuelles conséquences de ce dernier. Certains remarqueront peut-être avec ironie qu’au moment de l’écriture, le discours officiel faisait encore allusion à la distanciation sociale pour glisser ensuite vers la distanciation physique, ce qui fait écho aux réflexions de l’auteur. Elle nous guide dans un cheminement précis, et cependant très compréhensible, dans nos mécanismes neurophysiologiques qui nous pousseraient à nous unir et à nous entraider en temps de crise et s’interroge sur les mouvements de recul et de distanciation que nous ont imposé les évènements récents. Le titre de l’article suivant peut être d’emblée un peu énigmatique. Peter Phillipson y traite pourtant d’un sujet essentiel, celui du pouvoir en psychothérapie. Il propose une ligne de partage iconoclaste au regard de cet éclairage : les psychothérapies à pouvoir unique (TCC, rogerienne…), celles où le thérapeute veut amener son client / patient à un résultat et celles, dont la Gestalt-thérapie et la psychanalyse, où le pouvoir est partagé. Alors que Peter Philippson nous amenait à revisiter le type de pouvoir familial auquel nous avions été confrontés enfant et son incidence sur notre pratique du pouvoir en séance, Jean-Marie Delacroix nous invite dans une co-errance dont le point de départ est son enfance. De là, se déroulent les différentes errances humaines, déstructurées ou déstructurantes, mais surtout l’errance éclairée quand la conscience fait sens, quand les conditions d’accueil de la nouveauté sont réunies, comme en témoigne l’auteur en replongeant dans son parcours de vie. La conscience est au cœur du concept d’attente secrète développé par Vincent Béja et Florence Belasco. Ce terme d’attente peut surprendre dans une pratique phénoménologique de la psychothérapie, mais on y retrouve des composantes familières d’awareness du praticien mettant sa sensibilité au service de la relation thérapeutique. Une vignette clinique vient illustrer le développement et clore le propos. L’article d’Alain Gontier aurait pu introduire notre dossier : avec son expérience de formateur comme point de départ, il détaille de quoi est fait notre sentiment de cohérence, et les différentes formes de celles-ci selon les critères retenus pour la définir. Il reprend les normes de validité en vigueur dans le monde des sciences dites dures, et cherche comment et jusqu’où il est possible de les appliquer aux théories des sciences humaines, tout en faisant qu’elles restent précisément humaines. La clinique prend de l’importance dans les trois derniers articles de notre dossier. Tout d’abord avec Jean-Marie Terpereau et son panorama large sur le thème : la cohérence dans la transmission en formation et dans la pratique de la Gestalt-thérapie. Surgit ici la question des multi-références et une analyse des risques de cet exercice d’équilibriste pour glisser vers la co-errance, entendue comme possibilité de rester dans l’ouvert à l’inédit en séance, la capacité à se perdre dans l’inconnu, à faire des détours pour finalement arriver quelque part. Il y a quelque chose de ce goût-là dans l’histoire personnelle et professionnelle de Jean-Philippe Magnen que nous avons sollicité sur ce thème avec une curiosité orientée : comment combine-t-il l’engagement politique, le dévoilement et l’exposition concomitants avec une activité de gestalt-thérapeute ? Il répond à cette question en revenant sur son parcours, sur les liens qui se sont faits un à un pour aboutir à sa pratique actuelle qu’il partage, vignettes cliniques à l’appui. Les amateurs de sensations fortes seront servis avec cette séance montagnes russes par Anne-Sophie Roquefère et Arnold, un patient aux humeurs vertigineuses, passant d’une polarité à une autre. Une solide assise permet de lâcher sans abandonner pour rejoindre l’autre, lui en dire et faire sentir quelque chose et ainsi créer une ouverture qui permettra une inscription des expériences d’Arnold aussi dans la chronicité. Le hors thème s’ouvre avec un extrait de mémoire d’Anne-Claire Storaï qui aurait eu toute sa place dans le dossier tant, à l’occasion de sa clinique incisive, elle décrit la tension avec laquelle elle se démène dans un accompagnement qui se cherche entre Gestalt-thérapie et psychotraumatologie. Tout autre ambiance avec Patrick Colin, qui avec humour et phénoménologie accessible, revient sur l’un de ses thèmes favoris, à savoir l’individuation. Celle-ci implique la différenciation, une séparation simultanée à une relation. Pour devenir sujet, ne pas être façonné totalement par l’environnement, il faut s’en laisser affecté, pouvoir le transformer, ce qui imprime une trace. Sans surprise, l’individuation est donc bien proche de notre posture thérapeutique. Et pour finir ce numéro en espérant susciter de l’appétit, trois notes de lectures de taille et style variés. Tout d’abord, Hervé Cabrol nous résume l’aventure, l’ennui et le sérieux de Vladimir Jankélévitch, presque sur le ton de la conversation. Puis Pétronille Lastennet partage avec poésie son voyage intérieur, suite à la lecture de Petit éloge de l’errance d’Akira Mizubayashi. Enfin, une note de lecture fournie, commentée et critique, où nous co-errons avec Jean-Marie Terpereau au fil de l’ouvrage de Frédéric Brissaud, Eclairer l’existence et cultiver la croissance. Les Cahiers existent par et pour leurs lecteurs et la représentation de notre courant théorique. N’hésitez pas à nous soumettre vos idées, retours, suggestions et écrits divers. Nous espérons que vous prendrez plaisir et intérêt à la lecture de cette sélection d’articles et que nous vous retrouverons, dans des conditions moins bouleversées, l’hiver prochain avec un dossier consacré à la sexualité. D’ici là, nous vous souhaitons de bien vous porter et que vos capacités d’ajustements créateurs, soient, plus que jamais, bien affutées. Articles du dernier numéro des Cahiers de Gestalt-thérapie à retrouver sur cairn.org https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-gestalt-therapie-2020-1-page-3.htm |
AuteurPierre-André Beley, psychosociologue et Gestalt-thérapeute, praticien en psychothérapie à Strasbourg. Archives
Septembre 2023
Catégories |